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Kidnapping –
Interview de Dominique Caillat
par Timothy Rearden (Octobre 2004)

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On dit pourtant que les israéliens et les palestiniens ont beaucoup en commun. Leurs cultures ne sont-elles pas similaires ?

Vous pensez aux frères ennemis, Isaac et Ismaël ? Oui et non. Je crois que les israéliens envient un peu les arabes qui, à défaut d'autre chose, semblent profondément enracinés dans le paysage. Même s'ils n'ont jamais eu d'Etat, même s'ils n'ont pas de titre juridiquement valable sur cette terre, ils ont l'air d'en faire partie intégrante : cela tient à leur physionomie, à leurs vêtements, à leur langue, à l'aspect de leurs maisons, à leur cuisine, à leur musique, leur poésie, leur attachement à la nature, qu'ils semblent comprendre intimement. Les israéliens ont adopté certaines de ces coutumes, par exemple la nourriture et la musique, et ils deviennent de plus en plus méditerranéens. Mais par rapport aux arabes, ils ont encore du chemin à faire.

Au-delà de ces similarités, les différences restent énormes.

D'un côté, vous avez Israël, une société de type occidental – libérale, démocratique et individualiste. Il y a certes des particularités proprement israéliennes, mais cela ne change rien à la ligne fondamentale. Je me sens pour ma part tout à fait à l'aise dans cette société dynamique et communicative (je ne parle pas ici, je le précise, de politique, ce qui est une autre affaire).

La société palestinienne est très différente. Il y a bien sûr une élite palestinienne (des avocats, des médecins, des professeurs, des artistes et même quelques politiciens) qui ne diffère pas des intelligentsias de Londres, Genève ou Tel Aviv. Mais la plupart des palestiniens vivent dans un monde et selon des traditions qui nous sont étrangères.

Un exemple frappant est le statut des femmes, surtout des musulmanes, qui sont reléguées à un rôle subalterne au sein d'une société profondément patriarcale : mariages arrangés, dissimulation sous des foulards et des manteaux aux couleurs sombres ou fades descendants jusqu'aux chevilles, production d'enfants à la chaîne, vie isolée au foyer, peine de mort pour adultère et autres « crimes » considérés comme atteignant à l'honneur de la famille, sont pratique courante. Il y a des exceptions, bien sûr, surtout dans les villes plus importantes et modernes comme Ramallah, mais le traitement archaïque des femmes demeure la règle.

Un autre élément étranger à la culture occidentale est l'institution du clan, structure sociale fondamentale de la vie quotidienne. Le clan et la démocratie sont des systèmes incompatibles. Dans la société clanique, c'est la famille, non l'Etat qui est l'unité de base. C'est à elle, non à la communauté que l'on doit sa loyauté. Les traditions « tribales » telles le devoir de vengeance, la protection de l'honneur, mais aussi le devoir d'hospitalité supplantent tout système juridique national. Un palestinien de Hébron m'a raconté un jour qu'un responsable de police était obligé de nommer des membres de sa famille aux autres postes clés de la force policière afin de se protéger des actes de vengeance que provoquerait toute sanction infligée à un membre d'un autre clan. A défaut, il risquerait sa vie.

La démocratie proprement dite n'existe pas bien qu'elle soit parfois imitée en surface pour des besoins de politique internationale. Par exemple, lorsque Arafat s'est porté candidat à la présidence de l'Autorité Palestinienne, il s'est organisé un adversaire : c'était une femme (!) de plus de 70 ans (!), chrétienne (!) atteinte de surcroît d'un cancer incurable (!) Elle mourut du reste quelques mois après les élections, dans lesquelles elle recueillit tout de même 12% des voix. Le monde applaudit.

Cela dit, outre le fait qu'il est ancré dans la tradition arabe, le système clanique a des avantages certains. En août 2004 l'admirable journaliste israélienne Amira Hass a écrit un article très intéressant sur ce sujet. Comment se fait-il, demandait-elle, que la société palestinienne ne se soit pas complètement désintégrée sous les effets dramatiques de l'occupation: effondrement de l'économie, anéantissement de l'Autorité Palestinienne, pauvreté, jusqu'à 60 % de chômage, emprisonnements en masse, sans parler, par ailleurs, de la lutte violente opposants les mouvements politiques (pour ne pas les nommer gangs) rivaux? Selon Hass, de telles circonstances auraient certainement créé le chaos dans une société occidentale, qui aurait sombré dans la criminalité et l'immoralité. Ce n'est pas le cas en Palestine où il n'est toujours pas nécessaire de fermer sa porte à clé et où, plus important encore, personne ne meurt de faim parce qu'il y a toujours un cousin ou un oncle quelque part, serait-ce à l'étranger, qui parvient à nourrir la famille. Misère donc, mais pas de famine, et cela non pas grâce à l'aide internationale mais par le bon fonctionnement du système clanique.

Je ne porte donc pas de jugement : la démocratie vaudrait-elle vraiment mieux pour cette population affaiblie ? – Je n'en sais rien. Je dis seulement que ce système est différent et qu'il heurte par de nombreux aspects notre sensibilité occidentale.

Estimez-vous qu'il y a une tradition de violence dans les sociétés arabes ?

Voilà bien un cliché typique ! D'ailleurs, je ne suis pas spécialiste de la culture arabe et serais bien en mal de vous répondre. Je ne peux que donner quelques impressions recueillies durant mes incursions en Palestine, impressions pour ainsi dire de touriste ou en tout cas d'outsider.

D'abord, je dirais que les palestiniens que j'ai rencontrés et ceux que j'ai observés dans la rue ont l'air nettement moins « machos » que les israéliens, qui aiment bien – pardonnez-moi la généralisation – donner l'impression qu'ils sont forts, extrêmement compétents et qu'ils ont toujours raison ! L'agressivité des parlementaires de la Knesset et des automobilistes dans tout le pays est légendaire. Les palestiniens, avec leur démarche souple, leur façon de prendre leur temps, leurs visages mélancoliques et une certaine douceur innée, sont invariablement polis et amicaux.

Il y a une certaine théâtralité dans les manifestations arabes bruyantes que l'on nous montre volontiers à la télévision, avec force vociférations, coups de feu tirés en l'air, cagoules guerrières, discours enflammés et autres brûlages en effigie : les faibles semblent fascinés par les insignes de la force, à commencer bien sûr par les armes à feu. A Jenin, les murs du camp de réfugiés sont tapissés de photos d'adolescents arborant grenades, poignards, Kalachnikovs, pistolets, etc., dont un ami m'a dit qu'ils étaient parfois en plastique: tout le monde ne peut pas se procurer la marchandise originale pour une simple photo. A Hébron, j'ai vu des gamins jouer à l'occupation à côté d'un checkpoint. Tous voulaient être des israéliens, des forts. Les « Israéliens » avaient des bâtons, fouillaient brutalement leurs camarades en hurlant, les « Palestiniens » étaient face au mur, les mains en l'air et ne disaient mot, apparemment humiliés. (Je ne veux pas diminuer ici la réalité de la violence militante – on en connaît la fureur destructive – mais il convient de relativiser un peu les images médiatiques).

On dit qu'il y a beaucoup de violence privée dans les familles palestiniennes : les pères frapperaient leurs femmes et leurs enfants, les maîtres d'écoles leurs élèves, les policiers leurs prisonniers, etc. Je n'en ai naturellement jamais été témoin. J'ai cependant une anecdote concernant les méthodes d'intimidation envers les femmes :

J'ai rencontré un jour une palestinienne chrétienne de Beit Sahour, non loin de Bethlehem. Elle avait passé presque toute sa vie à l'étranger, d'abord au Kuweit puis en Allemagne. A sa retraite, elle décida de revenir en Palestine parmi les siens. Elle avait hérité de son père une maison assez spacieuse, où elle s'installa seule. Scandale : non seulement elle occupait soi-disant la plus grande maison du clan (dont les habitations couvrent, soit dit en passant, une colline entière de Beit Sahour), excitant la jalousie de tous ses oncles et cousins, mais surtout elle se permettait d'habiter seule, ce qui est interdit à une femme. Crime suprême, elle s'occupait elle-même de son jardin et de ses animaux : un chien, un chat, des lapins et de la volaille. Dès lors, chaque semaine, un oncle après l'autre se présenta à sa porte pour s'installer chez elle – et se faire servir. Elle les renvoya tous à leurs pâquerettes. Elle reçut alors des menaces, cela ne la fit pas fléchir. Puis, un matin, ouvrant sa porte d'entrée, elle découvrit son chat sur le paillasson, mort. Elle emmena le cadavre chez un vétérinaire, qui lui confirma ses soupçons – l'animal avait été empoisonné au chlore. La semaine suivante, ce fut le tour de son chien. Voilà où en étaient les choses lorsque je la rencontrai. Elle était en colère mais fataliste. Que pouvait-elle faire ? Bientôt ce serait le tour des lapins, sans doute. Ne valait-il pas mieux en faire tout de suite une fricassée ? Elle me raconta qu'elle rêvait désormais d'émigrer en Australie, un paradis à mille lieux de là où elle avait passé une fois des vacances. (Plus tard, lors d'une conversation nocturne sous un chapiteau d'étoiles, cette même femme d'apparence si raisonnable m'expliqua le plus sérieusement du monde que l'holocauste était un mensonge et que le 11 septembre avait été manigancé par la « conspiration américano-juive mondiale. »)

Cette histoire n'est à mon avis pas typique de la société arabe ou palestinienne, mais d'une société archaïque patriarcale, où les femmes sont exploitées.

Et le terrorisme, les attentats-suicides, qu'en dites-vous?

Il est assez ironique que le premier attentat-suicide de l'Histoire ait été commis par un juif, Samson, qui effectua du reste son « opération » à Gaza. Mais je ne vais pas ouvrir une polémique ici.

Tuer des civils avec préméditation est pervers. L'idée qu'un « Shaheed » – contrairement à un pilote  d'avion, par exemple – puisse voir et toucher ses victimes, des passants qui se trouvent là par hasard (parmi eux souvent des enfants et des arabes), avant de se faire exploser avec eux nous choque et nous effraie. Quel fanatisme ou quel désespoir le fait agir ? Comment nous protéger de ces bombes humaines intelligentes ?

Les attentats-suicides causent des opérations de représailles sanglantes et le durcissement de l'occupation. Ils coupent l'herbe sous les pieds des libéraux israéliens et renforcent le camp des réactionnaires. Enfin, ils découragent la communauté internationale dont la bonne volonté s'effrite.

Alors pourquoi le font-ils ?

J'ai interviewé un jour pendant de nombreuses heures les parents de Hanadi Jaradat, une jeune juriste qui s'est fait exploser en 2003 dans un restaurant de Haïfa, tuant 21 clients (dont un quart d'arabes). Lorsque j'ai demandé à sa mère comment elle avait réagi en apprenant la nouvelle par la télévision, elle m'a dit qu'elle avait pleuré la mort de sa fille mais également ressenti une grande joie et de la fierté – l'attentat avait particulièrement bien réussi et vengeait efficacement le meurtre du fils aîné Jaradat et de son cousin, fiancé de Hanadi. Elle était heureuse que sa fille ait su infliger à des familles juives la même souffrance qu'elle avait endurée, elle aussi.

J'ai entendu cet argument bien souvent : « puisque nous ne pouvons vaincre, puisque nous sommes coincés ici dans cette misérable prison sans aucune perspective, mourant d'ennui et frustrés par le vide de nos vies, puisque tant de nos proches et amis sont en prison ou ont été tués, rendons leur la pareille : il faut qu'ils souffrent et qu'ils aient peur, comme nous. » Les attentats-suicides remontent le moral d'une population défaite. Chaque assassinat ciblé de l'armée israélienne, chaque arrestation, chaque checkpoint, chaque « dommage collatéral » alimente la haine et la détermination des palestiniens les plus fanatiques ou désespérés, d'ordinaire de jeunes hommes et femmes non mariés qui trouvent une nouvelle famille, une possibilité d'action et la promesse de gloire au sein des groupements terroristes. Cela dit, une majorité toujours plus importante de palestiniens comprennent que les attentats-suicides sont contreproductifs (à défaut de les trouver immoraux). Environs 70% y sont opposés.

Que pensez-vous des palestiniens qui se contentent, si l'on puit dire, d'attaquer des objectifs militaires, à savoir les soldats et les colons installés dans les territoires occupés ?

Je suis européenne. Je suis née et j'ai vécu toute ma vie dans des pays qui étaient en paix et où régnait la sécurité. J'ai appris chez moi et à l'école les horreurs des guerres passées et, comme la plupart des européens, j'ai peine à croire que l'option militaire ne soit jamais une solution à un conflit bien qu'elle puisse être inévitable dans des cas exceptionnels. Je suis, comme beaucoup de gens de ma génération, tout à fait anti-violente. Au Moyen-Orient, on m'a souvent ridiculisée, d'un côté comme de l'autre, pour ces conceptions « d'idéaliste de salon ».

La rencontre avec la violence quotidienne et l'insécurité qui règnent dans cette région a été un choc.

En Israël, la violence est, de nos jours, principalement vécue par écrans de télévision interposés, qui retransmettent les images horribles de tel ou tel attentat terroriste. Il y a peu de violence immédiate, mais un sentiment profond d'insécurité. Il s'agit d'un traumatisme, d'une angoisse permanente qui affecte tout le monde, tout le temps. Il y a des gardes de sécurité à l'entrée de chaque café ou magasin pour vous rappeler sans cesse le danger dans lequel vous vivez. Cela dit, la vie est aussi normale que possible dans un pays qui est en état de guerre potentielle ou ouverte depuis près de 60 ans.

En Palestine, la violence est partout, ambiante. Elle prend la forme des checkpoints, de bases militaires, de tanks, d'hélicoptères, de ruines, de façades criblées de trous d'obus, de balles en caoutchouc sur le sol, de barrières, d'un mur gigantesque, de prisons entourées de barbelés, d'incursions militaires permanentes au cours desquelles des dizaines de gens sont tués ou arrêtés. A quoi s'ajoute la guerre fratricide des gangs paramilitaires.

J'ai été témoin de l'arbitraire aux checkpoints et j'ai vu les effets destructeurs de l'occupation. J'étais à Rafah peu après une opération de représailles militaires de plusieurs semaines, après que 11 soldats israéliens aient trouvé la mort dans deux attentats successifs. Le sud du camp était un champ de ruines. Les canalisations avaient explosé, les égouts puants coulaient à ciel ouvert. L'école ne fonctionnait pas car elle avait été transformée en dortoir pour les dizaines de familles dont les maisons avaient été démolies.

J'ai rencontré un psychiatre éminent de Gaza, le Dr. Eyad Sarraj, connu pour son engagement et sa modération. Il est spécialisé dans le traitement du syndrome de stress post-traumatique dont souffre une majorité des palestiniens, notamment les enfants. 90% de ces derniers ont été  témoins d'actes de violence, dit Sarraj. Beaucoup ont assisté à la mort ou à l'arrestation de proches, à des razzias nocturnes chez eux, à la destruction de maisons – parfois la leur. J'ai parlé à un gamin de 12 ans, blessé au front: le plafond de son salon s'était effondré sur sa tête tandis qu'il aidait à démolir au marteau un mur, fuyant les bulldozers venus aplatir sa maison: la famille craignait, si elle sortait par la porte d'entrée, d'être prise dans des tirs croisés. Presque chaque enfant a des proches, souvent son père ou ses frères, sinon des cousins en prison. Toujours selon Sarraj, les enfants sont profondément traumatisés, ils vivent en totale insécurité. Ils sont dépressifs, ont des cauchemars, font pipi au lit et s'évanouissent sans raison apparente. Ils sont terrifiés.

Le Dr. Sarraj pense que la seule façon de surmonter cette angoisse est de se battre. Lorsqu'un gosse ramasse une pierre et la lance contre un tank qui s'approche, il conquiert sa peur et retrouve le contrôle de ses sentiments, de sa vie. Cet acte de résistance restaure son estime de soi. Sarraj pense que la résistance armée contre des cibles israéliennes dans les territoires occupés est non seulement justifiée, mais même psychologiquement nécessaire à ce peuple affaibli et traumatisé. Ce serait une question de survie mentale. Sarraj condamne au contraire formellement les actes de violence perpétrés en Israël.

Après plusieurs semaines passées à Gaza et en Cisjordanie, je me suis demandée en effet pourquoi les palestiniens, pris en otages par une armée étrangère, n'auraient pas le droit de se défendre, comme tant de peuples l'ont fait avant eux avec la bénédiction de l'opinion publique internationale.

Je sais que beaucoup d'israéliens prétendent qu'ils n'occupent rien du tout, que les territoires n'appartiennent légitimement à personne, si ce n'est à Israël même, pour les raisons historiques que l'on sait. Ce n'est pas un argument sérieux. Ces gens n'ont sûrement jamais traversé la Ligne Verte. Les seuls juifs de l'autre côté sont, d'une part, des colons dont la majorité se conduit comme des seigneurs coloniaux racistes et violents et, d'autre part, des soldats terrifiés ou agressifs qui considèrent sans aucun doute la population locale, entièrement arabe, comme leur ennemie. Si ce n'est pas une occupation, j'en mange mon chapeau.

Contrairement aux attentats suicides, les opérations qui visent les soldats ont une certaine efficacité. Souvent, il y a une profonde remise en question de l'occupation par beaucoup d'israéliens qui se demandent pourquoi leurs enfants doivent mourir pour protéger des colons que la plupart désapprouvent et même méprisent.

Ce sont des questions complexes. Beaucoup de mes amis ont des enfants à l'armée. Toutes les filles et tous les garçons sont soumis au service militaire obligatoire (2 ans et 3 ans respectivement) et à des années de service de réserve. Il n'y a pratiquement pas d'objecteurs de conscience dans un pays qui se sent en permanence menacé de l'extérieur et qui doit son existence aux succès de son armée de 1948 à 1973. Un adolescent de 18 ans qui refuse d'entrée de jeu de servir est non seulement mis en prison, mais encore largement incompris et même considéré comme un traître. (Ce n'est pas le cas – la plupart des objecteurs sont des résistants à la politique d'occupation, qu'ils estiment suicidaire. Ce sont des patriotes.)

Quant à moi, et je réponds enfin directement à votre question, je reste fondamentalement une européenne qui voit dans la violence une incitation à plus de violence encore. Je suis contre. Mais je comprends les arguments du Dr. Sarraj.

Quelle influence joue la religion dans le conflit ?

Les croyants modérés n'ont jamais constitué un problème où que ce soit. Ils sont une majorité dans le monde. Malheureusement, au Moyen-Orient, les fondamentalismes musulman et juif jouent un rôle néfaste et ont ceci en commun qu'ils prévoient tous deux l'intervention de Dieu dans la politique.

En Israël, la religion est essentiellement un problème interne, je crois, qui crée des tensions importantes entre les sionistes traditionnellement agnostiques et la communauté ultra orthodoxe. Les colons, eux, sont plutôt qualifiés de « nationalistes orthodoxes ». Ils utilisent la Bible pour annexer des territoires palestiniens, sous prétexte qu'ils sont mentionnés dans l'Ancien Testament. (Et pourtant, on serait bien en peine de tracer des frontières sur la base de ce texte qui parle de tribus rivales constamment en guerre et de territoires conquis puis reperdus. En réalité, ce que les israéliens appellent le Grand Israël, c'est le Mandat britannique !) Franchement, il n'y a rien de spirituel dans la démarche des colons qui me sont apparus comme essentiellement violents, racistes et immoraux.

Du côté palestinien, c'est une autre affaire. L'Islam, c'est notoire, connaît une vague de fondamentalisme radical et parfois violent qui est alimentée par le fait que de nombreux musulmans se sentent humiliés par les occidentaux. Les chefs religieux radicaux ont réussi à attirer des jeunes disciples par légion. Ceux-ci trouvent dans leur nouvelle famille une forme de pouvoir (par la terreur qu'ils sèment) mêlée à l'asservissement (à la volonté de leurs leaders). On connaît ce mélange qui a conduit tant de gens à des actions folles depuis la nuit des temps. Cela n'a rien de proprement musulman.

Je rappelle la belle phrase de Marx, si souvent tronquée : « la religion est le soupir de la créature opprimée, le cœur d'un monde sans cœur, tout comme elle est l'âme d'un monde sans âme. Elle est l'opium du peuple. »

Sans vouloir généraliser, cette remarque poétique ne me paraît pas déplacée dans le contexte du Moyen-Orient. La manipulation du sentiment religieux aux fins d'obtenir le pouvoir absolu est un procédé archi connu. Lorsque Dieu entre sur scène, il n'y a plus place pour le compromis. Dieu est absolu. En politique, Dieu est dangereux : Il interdit le dialogue.

Un dernier commentaire : il y a 30 ans, peu de palestiniennes portaient le foulard et elles étaient présentes aux plus hauts échelons de la résistance, notamment dans l'OLP. Maintenant, elles sont toutes couvertes, souvent de la tête aux pieds et sont reléguées à leurs fourneaux. Est-ce un signe d'oppression ? J'ai bien envie de dire oui, puisqu'elles ont quitté l'arène publique. Mais d'aucunes, très éduquées, vous affirmeront que c'est aussi un signe de résistance, un moyen d'affirmer son appartenance à un camp et se distinguer de l'ennemi détesté, l'Ouest arrogant et décadent. D'autres prétendent que le respect des rites religieux donne une structure à leur vie, une discipline quotidienne absolument bénéfique dans une société en proie au plus grand désarroi. Alors : identité et ordre, ou bien victimisation? Les deux peut-être. C'est une contradiction typique du Moyen-Orient.

 

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