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PROCHE-ORIENT : QUEL ESPOIR ?
par Dominique Caillat
Article paru dans « Le Temps », mercredi 21 novembre 2007

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« Arrêtez, arrêtez, arrêtez, arrêtez ! », plaide Christine, assistant à une nouvelle altercation entre ses deux compagnons de voyage, l’Israélien Amos et le Palestinien Abdoul. Pourquoi ? », répondent-ils en cœur.

Christine est une journaliste allemande en reportage au Proche-Orient. Elle a récemment retrouvé la trace d’Amos et d’Abdoul, deux amis d’enfance perdus de vue. Elle leur a donné rendez-vous dans un café de Jérusalem pour partager des souvenirs et les interviewer sur le conflit israélo-palestinien. Mais avant qu’elle ne les rejoigne, le café a explosé dans un attentat. Amos et Abdoul sont morts. Christine, en état de choc, enfermée dans sa chambre d’hôtel, ne peut les chasser de son esprit : psychose ou vision, elle les voit et les entend, elle leur parle, ils répondent. La conversation s’engage et l’interview finit par avoir lieu. Cet entretien mental avec deux fantômes devient un voyage virtuel à travers l’histoire du conflit israélo-arabe et dans l’actualité meurtrie du Proche-Orient.

La scène se passe au Théâtre de Carouge, où Elzbieta Jasinska, Pierre Dubey et Laurent Sandoz répètent ma pièce « État de piège » sous la direction de François Rochaix. Parfois une question fuse : pourquoi tel personnage dit-il telle phrase ? Je fournis l’anecdote réelle qui sous-tend la réplique théâtrale. Chaque ligne du texte correspond à une expérience vécue ou une remarque entendue au cours de recherches en Israël et en Palestine. J’ai tout le temps envie de raconter, d’expliquer encore un peu plus. Mais il faut se taire et laisser le drame se construire dans l’imaginaire des artistes, déjà saturés d’informations par des semaines de drill sur l’histoire et la politique du Proche-Orient.

Les répétitions réveillent des souvenirs poignants. Les images se bousculent dans ma tête: les ruines de Gaza, le souk déserté de Hébron, un bus déchiqueté à Jérusalem. Dix ans d’enquêtes. Non, cela remonte plus loin, à l’enfance, aux mythes bibliques racontés avec verve par un pasteur qui savait me captiver. Ce fut le début d’un voyage initiatique dont les étapes suivantes ont été l’horreur de l’holocauste, l’admiration pour l’utopie sioniste du kibboutz, la découverte des Palestiniens et de leur détresse, les espoirs de paix déçus et, aujourd’hui, le constat de la dérive extrémiste coloniale, militaire et religieuse.

Le Proche-Orient est fascinant. On y retrouve, sous forme condensée, les grands enjeux politiques de notre époque : identité, religion, conflit de cultures, démocratie, terrorisme, droits de l’Homme et des peuples.

Le Proche-Orient éveille nos passions : Israël, la Cisjordanie, Gaza, sont un site archéologique où nous découvrons notre histoire ancestrale et contemporaine, nos racines et nos péchés. Nous connaissons les peuples, les lieux-dits et les mythes de cette terre que nous revendiquons en cachette, comme si nous en avions hérité un peu, nous aussi.

Le Proche-Orient est aussi le miroir de notre humanité inquiète qui, ne trouvant pas de solution concrète à ses problèmes, se replie dans l’indifférence ou plonge dans le fanatisme, tels les peuples fatigués d’Israël et de Palestine. Mais du fond de cette torpeur, et conscients d’un enlisement toujours plus dangereux, beaucoup crient à l’aide : le monde doit intervenir.

Les Etats-Unis, qui ont leur propre agenda – la confrontation avec l’Iran, véritable enjeu de la prochaine conférence d’Annapolis –, ne sont pas prêts à imposer une solution, bien qu’ils en aient le pouvoir. C’est donc à l’Europe d’entrer en lice. Elle y a tout intérêt car ce conflit est à ses portes et il est devenu, à tort ou à raison, un problème géopolitique qui dépasse largement les frontières d’une région minuscule.

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J’ai à nouveau passé six semaines en Israël et en Palestine cette année, réalisant des interviews et tâchant de m’imprégner de l’atmosphère volatile des lieux. J’ai écrit une pièce, « État de piège ». Mais cela ne suffisait pas. J’ai écrit alors un livre, «La paix ou la mort », pour transmettre un sentiment d’urgence, faire revivre des dizaines de rencontres et raconter l’écriture de la pièce, dont mes entretiens forment le tissu. Cela ne suffit toujours pas. Jour et nuit, mes personnages m’accompagnent et nous causons.

Que dirais-tu, Amos, si je te donnais une nouvelle fois la parole ? Cela dépend du temps que tu me donnes. Quelques répliques seulement. Alors ne remonte pas à Abraham. C’est pourtant bien là que tout commence, à Hébron, dans cette grotte qu’il a achetée pour s’y faire enterrer avec sa femme Sarah. Le premier lopin de terre juive en Palestine. Un lieu de mort, quelle ironie ! Mais il y a la vie aussi : la naissance des deux fils, l’Arabe Ismaël et le juif Isaac. Et depuis, les descendants se disputent l’héritage. Une sombre querelle de famille. Tous les problèmes ne viennent-ils pas de ce livre génial que vous avez inventé il y a près de 3 000 ans ? Il vient plutôt de ce que les chrétiens puis les musulmans nous l’ont volé. Vous avez revendiqué notre livre et notre histoire pour vous-mêmes, revendiqué nos prophètes, nos rois et notre Lieu Saint pour vos propres religions. N’étiez-vous pas capables de vous imaginer un passé et un Dieu tout seuls ?

Parle-moi plutôt du présent, Amos. Le présent est gouverné par le passé, par la mémoire de notre exil et de toutes nos persécutions. Nous avons un sentiment profond de menace existentielle, que les déclarations et démarches agressives de nos ennemis et la propagande de nos propres gouvernements ne font qu’attiser. Nous avons tout le temps peur.

Terre de mémoire. Guerre des mémoires. Les Israéliens se souviennent de leur histoire et de leur destin, les Palestiniens de leur village familial. Deux mémoires, deux légitimités, une terre. Une solution : le partage.

Quant à la peur, n’est-ce pas le mal du siècle ? Les politiciens du monde promettaient autrefois le bonheur à leurs électeurs. Comme on ne les croit plus, ils nous peignent des cauchemars et promettent la sécurité. Les Israéliens sont les précurseurs de ce modèle mondialement répandu.

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 « Pourquoi nous arrêter ? » répètent sur scène Amos et Abdoul. Christine la journaliste, est décontenancée : « Parce que… je ne sais pas. Parce que vous êtes Abdoul et Amos, mes amis d’enfance. Et que nous trois, nous voulons la paix, non ? » « La paix ? Bien sûr que nous voulons la paix », affirment ses compagnons. Mais c’est une déclaration d’intention creuse, sans conséquences, et Christine est désemparée. La paix serait-elle devenue une simple utopie que personne ne s’occupe de réaliser ?

Le pacifisme israélien – qui veut la fin de l’occupation et la création d’un État palestinien – a du plomb dans l’aile. Il a été décimé par les attentats-suicides de la deuxième Intifada de 2000 à 2004, il s’est effondré un peu plus avec la poursuite des tirs quotidiens de roquettes sur Israël depuis Gaza en dépit du désengagement de 2005 et il a reçu son coup de grâce lors de la deuxième guerre du Liban en 2006, lorsque Israël a été agressé simultanément depuis le Liban, au nord, et Gaza, au sud, et s’est lancé dans une guerre de représailles de style tabula rasa dont son armée a le secret, désastreuse pour tous.

Il ne reste que le noyau dur des activistes, militant au sein de toute une série d’organisations humanitaires farouchement opposées à l’occupation. Mais ils l’avouent eux-mêmes : leur action est en ce moment une goutte d’eau dans la mer et n’influence nullement la politique du gouvernement.

La deuxième guerre du Liban a remis en question un mythe fondamental du peuple israélien : l’efficacité de son armée. Cette certitude était la réponse à toutes les angoisses. Elle rassemblait le peuple autour de ses soldats. L’armée a toujours été un facteur essentiel de cohésion sociale dans ce pays écartelé entre ses identités multiples. À l’issue d’une campagne ratée, le peuple se retrouve comme nu, à la merci de dangers extérieurs réels et imaginés, sous la conduite d’un gouvernement discrédité. La popularité du Premier ministre Olmert oscille entre 2 et 6 %. Les Israéliens traumatisés se réfugient dans le fatalisme et l’indifférence, tâchant de vivre aussi normalement que possible avant le prochain cataclysme. La paix, on la célèbre lors de manifestations sans lendemain – telle la commémoration annuelle de l’assassinat de Yitzhak Rabin, où l’on chante en chœur des chansons tristes et pleure sur les rêves brisés.

Et pendant ce temps, les colons et les colonels phagocytent la Palestine. C’est toi Abdoul ? Oui, c’est moi. N’ai-je pas le droit de parler, moi aussi ? Mais si! Pardonne-moi. C’est bien, oublions cela. De toutes façons, je n’ai rien envie de dire. Tout est désespérant. Les colonies, les checkpoints, le mur, la fermeture de Jérusalem, le schisme palestinien… C’est de pire en pire. Nous avons tout essayé pour gagner notre liberté, mais les Israéliens nous ont roulés. Les Arabes aussi, d’ailleurs. Que faire ?

Je ne sais pas. La paix. La paix, c’est une notion vide de sens. Nous voulons la justice et la dignité. Tu comprends ?

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Je repense à l’utopie qui m’avait fascinée, adolescente – à la société juste et libre rêvée par Herzl. Il avait vu Dreyfus humilié; vu toute la haine antisémite se déchaîner à Paris; compris que l’humanité ne voulait pas de ce peuple différent, qui croyait pouvoir vivre dans les livres, la morale et l’humanisme, qui survivait sans régner. Herzl décida qu’il fallait devenir une nation comme les autres, avec une terre, un drapeau et un hymne, peuplée d’hommes et de femmes enracinés dans la terre. Il fallait mettre fin à l’exil des juifs.

La création d’Israël est un prodige d’imagination et de volonté : un objet de mémoire a été transformé en territoire national. Une langue ressuscitée. Un citoyen inventé de toutes pièces, travailleur de la terre et capable de se défendre. Les marécages asséchés, la terre pierreuse irriguée. Aujourd’hui, soixante ans plus tard, des villes high-tech dressent leurs tours vers le ciel bleu méditerranéen. Une population bigarrée et polyglotte emplit les rues et les plages, hyperactive, bruyante et gaie. Il y a cent ans, la majorité de ses ancêtres vivait dans l’univers moyenâgeux des shtetls européens et des mellahs orientaux.

Ce pays est un miracle. Mais c’est un miracle qui est en train de tourner mal, car il s’est construit aux dépens des Palestiniens, une partie d’entre eux ayant perdu ses terres en 1948, l’autre la liberté en 1967. Plus de trois millions de réfugiés attendent depuis des décennies dans des camps administrés par l’ONU le droit de vivre et voyager librement, avec un passeport en règle. Et ils attendent la reconnaissance du préjudice qui leur a été causé.

Les initiateurs de la catastrophe sont les Etats arabes avoisinants, qui ne cessèrent, des années durant, d’attaquer l’Etat juif instauré et reconnu par l’ONU. Mais les responsables, quarante ans après la guerre des Six Jours, sont les Israéliens, qui ont transformé une occupation « préventive » en la conquête d’un territoire et l’assujettissement de son peuple, prétextant tour à tour la sécurité, une prophétie divine ou des racines antiques. Il y a aujourd’hui plus de 260 000 colons en Cisjordanie, répartis dans plus de 120 colonies. Auxquels s’ajoutent 200 000 colons à Jérusalem Est. Subrepticement, c’est le « grand Israël » rêvé de tout temps par les sionistes de droite qui s’établit. Les implantations sont reliées entre elles et avec Israël par des routes et des tunnels interdits aux Palestiniens, qui découpent le pays en îlots séparés les uns des autres par des zones colonisées. Ne pouvant espérer reporter indéfiniment la création d’un État palestinien, on réduit cette future entité à un simple Bantoustan dépourvu de ressources et de souveraineté.

Parcourant la Palestine au volant de ma voiture – privilège réservé aux étrangers ainsi qu’aux colons et soldats israéliens – j’ai revu cette année les checkpoints, un peu moins nombreux depuis la fin de l’Intifada, mais de plus en plus grands, véritables châteaux-forts modernes ornés de miradors ; revu le mur, rideau de béton qui bouche les paysages ; revu les hélicoptères tournoyer dans le ciel, les soldats pointer sur des vieillards leur fusil d’assaut.

C’est comme si les Israéliens avaient recréé le paysage carcéral de leur mémoire, avec ses murs, ses barbelés et ses zones interdites.

Le contrôle militaire des villes et villages s’effectue par razzias nocturnes, assassinats ciblés, arrestations et emprisonnements sans inculpation. Le contrôle administratif a lieu par la retenue des impôts prélevés par Israël pour le compte de l’Autorité palestinienne, les couvre-feu, le refus d’autorisations de construire, les expropriations et évictions, le rationnement de l’eau et de l’électricité, les abattages d’arbres fruitiers.

Les checkpoints restreignent radicalement la liberté de mouvement des civils palestiniens, cloîtrés dans leurs villages sous prétexte de sécurité. Or les militants déterminés savent très bien contourner ces obstacles.

Quant au mur, il est comme un fromage suisse, plein de trous. Pas plus que les checkpoints, il n’arrêtera les plus acharnés des terroristes, qui sauront toucher Israël lorsqu’ils auront repris leur souffle et qu’éclatera la troisième Intifada, inévitable si l’on ne change pas de cap.

Si l’on ajoute à cela la quasi immunité dont jouissent l’armée et les colons dans les territoires palestiniens pour des comportements allant du vandalisme au meurtre et, en Israël, la discrimination des citoyens arabes – la coupe est pleine : « Ce n’est pas juif », me dit un ami israélien déprimé, « et cela se retournera contre nous. »

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Parle-moi, Abdoul. Comment t’aider ? Je ne sais pas. La situation est catastrophique. L’occupation nous a fait perdre nos repères. Notre rage impuissante s’est aujourd’hui retournée contre nous-mêmes. Nous sommes divisés. Nos chefs sont faibles. La corruption opère à tous les niveaux. En fait, la seule chose qui fonctionne chez nous, c’est le népotisme. Tout cela a commencé avec Arafat déjà.

Yasser Arafat, le « père de la nation », était une figure de proue intouchable. Il unifiait derrière lui ses compatriotes, même s’ils étaient critiques. On a voulu le rendre responsable de tous les échecs : c’est faux. Les gouvernants israéliens ont une large part de responsabilité, surtout Ariel Sharon, qui avait fait d'Arafat l'ennemi public numéro un et mené contre lui la guerre totale. Sharon ne voulait pas d'État palestinien. Il voulait le Grand Israël. Et il voulait mettre les Palestiniens à genoux. Il a rendu Arafat responsable de chaque attentat. Il a fait bombarder les prisons où ce dernier avait fait enfermer des militants du Hamas et du Djihad Islamique. Il a pris d'assaut toutes les institutions palestiniennes – ministères, centres de cultures, hôpitaux – détruisant les installations et tous les disques durs des ordinateurs. Il a confisqué les impôts, bloqué les exportations, paralysé le mouvement des personnes et des biens.

Mais la responsabilité d’Arafat est néanmoins engagée : sa plus grande erreur a été d’autoriser le soulèvement armé de la deuxième Intifada en 2000, alors que des négociations de paix étaient en cours. Une autre a été la mise en place d’une politique de clientélisme. Arafat se maintenait au pouvoir en distribuant des pots-de-vin. Ainsi muselait-il tout opposant potentiel et remerciait-il ses amis politiques. Il a fait du népotisme et du bakchich le « way of life » palestinien. À sa mort, il n’est resté que son parti, le Fatah, qui était miné par la corruption et excessivement impopulaire.

Oui, et n’oublie pas la répression terrible de l’Intifada. Tout cela est un cercle vicieux : la violence israélienne crée le terrorisme, qui provoque la violence israélienne, et ainsi de suite. A partir de 2000, la vie a été infernale ici. Le peuple, qui ne supportait plus la réalité, s’est réfugié dans le conservatisme religieux.

C’est le cas de citer Marx, dont la phrase est si souvent tronquée : «  la religion est le soupir de la créature opprimée, le cœur d'un monde sans cœur, tout comme elle est l'âme d'un monde sans âme. Elle est l'opium du peuple. » Mais pourquoi les Palestiniens sombrent-ils carrément dans l’intégrisme ?

Les Palestiniens croyants pensent qu’Allah les  punit parce qu’ils sont de mauvais musulmans. Plus cela va mal, plus ils deviennent religieux. L’intégrisme n’est pas ici une tradition mais un phénomène de détresse. Il est réversible.

Je le crois aussi. Le succès du Hamas n’est d’ailleurs pas d’ordre essentiellement religieux. Il était une réponse aux erreurs du Fatah. Les islamistes se sont rendus populaires par leur honnêteté et parce qu’ils fournissaient des services sociaux,  tels jardins d’enfants et permanences médicales, à des habitants démunis qui en étaient dépendants. Lors de la deuxième Intifada, ils ont augmenté leur gloire par leur stratégie de violence – les attentats-suicides portent presque tous leur signature – auprès d’une partie de la population qui, humiliée et obsédée de vengeance, régressait vers des traditions archaïques. L’émergence du Hamas a été du reste encouragée et facilitée par Israël, qui pensait pouvoir mieux dominer un ennemi divisé : réussite totale sur ce plan.

L’élection du Hamas a surpris tout le monde, à commencer par lui-même. Il n’était pas prêt à gouverner. L’Occident ne lui a pas laissé le temps de chercher sa voie. Après avoir réclamé la démocratie, il en a puni le résultat par un boycott économique et politique radical, qui a précipité la guerre entre les milices du Fatah et du Hamas et renforcé la branche extrémiste de ce dernier. On sait la suite : le camp palestinien est paralysé par un schisme, les islamistes ayant pris le contrôle de Gaza, le Fatah celui de la Cisjordanie. La Palestine a deux Premiers ministres. Pour la première fois, il n’y a vraiment pas de partenaire palestinien pour la paix. Le Président Mahmoud Abbas doit réunifier son peuple.

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Il n’y a pas de partenaire israélien non plus, car le gouvernement est trop faible et divisé. Or c’est bien à Israël qu’appartient l’initiative, car il est la puissance occupante et dominante.

Admettons un instant qu’un Mandela israélien apparaisse miraculeusement sur la scène politique. Que pourrait-il faire ? Ce leader tombé du ciel aurait le choix entre trois possibilités :

La première, voulue par une majorité d’Israéliens et de Palestiniens, c’est la solution des deux Etats contigus avec, notamment, le retrait de l’armée et des colonies des territoires occupés.

Mais comment retirer 260 000 colons israéliens fanatiques de leurs implantations en Cisjordanie ? Les colons considèrent la colonisation de la Terre Promise comme la réalisation d’une prophétie divine et comme un devoir religieux absolu. Tous ne sont certes pas des colons « idéologiques » – il y a aussi ceux qui sont venus en raison des avantages financiers qu’on leur offrait sous forme de crédits et de rabats divers – et la majorité ne résistera pas violemment. Mais il est fort à craindre qu’une fraction le fera. Or les colons sont armés jusqu’aux dents par les soins de l’armée israélienne. Il pourrait y avoir un carnage. Retransmis, qui plus est, en direct à la télévision. Le risque de violence est réel. En 1995, Yitzhak Rabin paya de sa vie sa décision de créer un État palestinien en Terre Promise.

Les Israéliens devront accepter le risque de conflit intérieur pour faire la paix. S’ils y renoncent, il leur faudra annexer les territoires et se lancer dans l’aventure de l’État binational, avec, à plus ou moins court terme, une majorité de citoyens palestiniens. De deux choses l’une : soit l’État sera démocratique, auquel cas l’État juif cessera tôt ou tard d’exister en tant que tel. Soit ce sera un État apartheid dans lequel la moitié de la population n’aura pas le droit de vote et sera discriminée.

C’est un choix historique entre Charybde et Scylla. Peut-être est-ce pour cela qu’aucun Mandela juif ne se pointe à l’horizon. Est-ce sans espoir ?

Lorsque Pandore referma en panique sa boîte, tous les maux de la terre s’en étaient échappés sauf un : l’espoir, justement. Que venait-il faire là-dedans ? L’espoir est-il une calamité ? Oui en vérité, car il berce les humains dans des rêves futiles et les endort.

Il faut cesser d’espérer et agir maintenant. Il faut risquer le pire pour obtenir le mieux : deux Etats souverains contigus avec des solutions acceptables pour Jérusalem et le droit au retour des réfugiés palestiniens. Il faut aider Shlomo Mandela à naître.

Ulysse dut lui aussi affronter les monstres. Il y perdit six marins, qui furent dévorés vivants. Mais il arriva à bon port et rentra un jour à Ithaque, après un long voyage, « plein d’usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge ».

 

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